Bienvenue au royaume des mes errances, en vous souhaitant d'être touché.

vendredi 22 janvier 2010

35X45

Première Partie. Chapitre 1.


*
Un fracassant déluge de gouttes claque sur le sol de la douche. Glacial, puis, se réchauffant vite, devenant un bouillonnement assourdissant crachant de brulant éclats d'eau. La buée et la chaleur lui montent à la tête, la vapeur semble l'étourdir un peu plus. Dur de se lever ce matin pour Caroline Allain. Elle a 29 ans et bac +2, célibataire, normal selon elle, c'est à cause de ces maudits kilos de trop, brune aux yeux noirs, 1m67. Dur de se lever, comme tout les matins, pour son seul compagnon, Berlioz. Encore une journée barbante. Au fond de l'appartement, dans la cuisine, le poste de radio postillonne les informations dans un grésillement strident. « Les mêmes info tous les matins », pense- t- elle en se disputant pour enfiler son tailleur gris. Celui que Catherine trouve austère. Catherine est sa meilleur amie, elle se décrit elle même un peu bobo-baba-cool, avec une colonie de marmots; deux seulement en réalité, un peu écolo, et 35 ans dynamique. Elle dit que Caroline est trop coincée, introvertie, et même prévisible.
«-Merci! Mais moi je l'aime bien ce tailleur, et puis c'est quand même un 34! Tu en penses quoi Berlioz? »
Lui, Berlioz, c'est un beau félin pur chat de gouttière; devant son nom aux Aristochats. Et bien, lui, il n'en pensait pas grand chose ce matin. Cela dit, il la trouvait nerveuse, sa maitresse, enfin tant qu'il avait des caresses et une gamelle pleine, et puis, elle était tout le temps comme ça.
Elle ajuste ses lunettes. S'emmitoufle dans son manteau. Prend un parapluie, son sac à main, ses dossiers et un café genre « Starbucks » et attaque la descente de sa cage d'escalier. D'habitude elle aimait cette image d'elle, active, voir débordée. Mais là franchement elle se serait bien passée du parapluie, au moins.
« -Taxi taxi vite, en plus sa gel se matin, pfff, vite. TAXI! »
La poignet de la portière gelée craque, elle s'engouffre en une seconde sur la banquette arrière, aspirée elle lâche l'adresse en un souffle:
« 167 place des droits de l'homme», son lieu de travail, à la préfecture de Nanterre.
Clac, fermeture centralisé.
« -C'est partit ma p'tite dam'! C'est qu'on a l'air pressée ce matin, un rendez-vous important? »
Ça y est encore un chauffeur lourd dingue qui veut à tout prix meubler son taxi en parlant. Si je répond hmm hm pour oui il va comprendre et puis se taire.
« -Hmm hm.
-Ha, c'est bien ça. J'me disais aussi, Michelle, tu vois et bah celle la... »
Caroline souffle, son regard va se perdre sur les mansardes de Paris, les nuages lourds de grisailles se mêlaient parfaitement avec l'architecture d'Haussmann. Les toits de son quartier lassant bientôt place aux habituels barres d'immeubles qui jalonnent sa route, direction, le travail.
« Vous avez 5 minutes de retard, Mlle Allain, cela fait bientôt trois fois ce mois-ci, trois fois de trop. Attention Mlle Allain »
M Raymond dans son costume gris, cravate noire, avec son ridicule badge de « responsable », est son responsable. Et ça, « Mlle Allain » ne le supporte pas.
« - Pff , imbécile » se murmure - t - elle en prenant place à son bureau. En réalité elle le considérait plutôt comme un placard à balais. Sauf que, en plus de son vieil ordinateur, il y avait une plante verte, un pothos ou scindapsus en latin. Caroline n'aimais pas cette plante, en fait elle la détestait même:
« -Une de ces ridicules décorations de salle d'attente, on ne sait jamais si elles sont en plastique ou si ce sont des vraies. Alors on en casse un morceau, juste pour vérifier. Il paraît qu'a force la plante peut en mourir, tu te rends compte ?
- Moi j'le trouve pas mal sexy. » Ça c'était Sibylle sa collègue, là depuis à peine deux semaines et Caroline ne la supportait plus.
« -Qui? répondit Caroline machinalement.
- Mais enfin! M Raymond bien sur!
-Ah? Tu trouves? » Deux semaines à peine et elle connaissait déjà tous le monde, tout le monde l'aimait, elle, elle semblait détester tous le monde.
Gris, voilà, depuis un moment , elle trouve tout gris. Bon pas gris foncé mais là franchement c'était déjà une matinée bien ratée. Elle ne supportait plus son supérieur et ne pouvait voir plus Sibylle, l'avoir à coté d'elle lui mettait les nerfs en pelote. Midi vient enfin. Seule sur sa table, le self, bruyant, regorge de têtes inconnues. Elle mange en silence, sombrant peu à peu dans la mélancolie. Détachée, elle perd la notion du temps, des autres, de tout, plongeant dans l'infini de ses pensées. C'est à ce moment que l'étrange décide de s'inviter à sa porte. Alors qu'elle se levait d'un geste automatique pour ranger son plateau. Caroline sent son ventre se crisper, l'air de ses poumons vidé comme en un souffle; aspiré; glacial. Soudain, plus rien ne bouge, le silence tombe sur la pièce. Les sombres visages sont devenus de vaporeux voiles blanc, flottants paisiblement. Presque brillante, l'atmosphère dégage une profonde sérénité, semblant permettre de répondre à tout. Elle croit percevoir la clef de ces interrogations à travers chaque poussière qui l'entoure. Tout devient limpide. Cet instant ne dura qu'un battement de cil de Caroline, pourtant elle devait ne jamais l'oublier. Quand sa paupière se ferme complètement, la vie reprend brutalement son court, comme une vague de bruit lui fracassant les oreilles. Étourdie, ses yeux peinant à recouvrir la vue, comme si on les avait frotté trop fort, Caroline se rassoit. La réalité lui revient, trop violente, l'obscurité, le brouhaha qui rebondit dans sa tête, la noirceur et le flou, l'envahissent à nouveau. Perdue, seule, nue, fragile elle se sent maintenant encerclée par le vide. Abandonnée au mépris de tous. 13H00 , 13h30 , les aiguilles refusent de reprendre leur vitesse normale, 14h00. Au travail , 14,15,16, pause café. Puis 17h, 17h30 et enfin, 18h00. Les jours se suivent ainsi, et la semaine reprend son rythme lancinant. Lundi, rien de nouveau, il ne fait pas beau le soir. Mardi, Sibylle est toujours exaspérante mais le temps s'améliore. Mercredi, il pleut.

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